Et si nous parlions de... salle de bains. Qui se souvient encore aujourd'hui du temps, où l'eau ne « courrait » pas jusqu'à un robinet? Du temps où pour se laver, il fallait aller chercher l'eau au puits?
Le tournant se produisit à la fin du siècle dernier, consécutivement, à la croissance industrielle et à celle de la population des villes. L’effet corollaire fut de polluer grandement l’eau des puits. Une urgence sanitaire s’imposait alors, on l’appela « salubrité publique », car, elle coïncidait avec la présence récurrente... d’épidémies. L’eau potable et courante pour tous est ainsi une conquête récente. Sa matérialisation sous les traits de ce qui fut préalablement salle d’eau et que connaissons sous le nom de salle de bains (parce que dotée d’une baignoire), l’est bien davantage.
Quittant la sphère privilégiée des hôtels particuliers ou des demeures, c’est, par la construction de grands ensembles, après guerre, que la salle de bains s’est popularisée, donnant la possibilité de produire en série l’appareillage nécessaire. Alors comment comprendre que cet espace rendu aujourd’hui intime, contrairement aux bains qui, à travers les âges, furent essentiellement publics, indissociable du confort moderne, puisse encore connaître une certaine difficulté, à trouver... place?
Citons, une nouvelle fois, l’exemple de la Cité Radieuse construite à Marseille en 1952. Ici encore, les choix d'agencement de Le Corbusier sont très avant-gardistes. À l'époque, il y avait une salle de bains pour tout un appartement et les toilettes étaient souvent sur le palier. Le Corbusier a une nouvelle fois bousculé les codes en proposant une salle d'eau, dissimulée derrière une porte coulissante, complétant une salle de bains et des toilettes privatifs. Certes Le Corbusier n’osa pas apporter à la salle de bains, jour et ventilation naturels, mais nous sommes au début des années 50, au sortir de la guerre, et le progrès reste retentissant!
Aujourd’hui, malheureusement, les logements dits sociaux ne bénéficient toujours pas de ce confort supplémentaire, et la salle de bains reste singulièrement triste, en retrait de l’évolution typologique de l’autre élément fondamental de l’habitat moderne, la cuisine. Si la cuisine a pu s’ouvrir, c’est en « volant » un peu d’espace au séjour, et s’y associer. Les bains quant à eux, demeurent encore une portion congrue.
Les raisons attachées le plus souvent au coût n’ont pas toujours valeur de justification. Il y a, au-delà des mœurs et de leur lent changement, une idée de l’objet, du meuble, qui n’est pas aboutie. L’habitat individuel a toujours pu s’offrir ce privilège. Le Corbusier, toujours lui, proposa pour la Villa Savoye, en 1928, déjà, une salle de bains unitaire, comme creusée dans la masse. Entièrement ouverte et carrelée comme dans un hammam, elle est éclairée par un puits de lumière, communique directement avec la chambre, et dispose d’une banquette sur le modèle de la fameuse chaise longue LC4 conçue par Charlotte Perriand.
Plus récemment, l’architecte hollandais Rem Koolhaas joua avec malice sur une duplicité extérieur-intérieur conjuguant la salle de bains avec la cour-jardin de la Maison du Jeudi à Bordeaux (1998), où le mobilier imaginé par Maarten van Severen s’inspire du vocabulaire des toilettes publiques...
La salle de bains sera-t-elle demain associée naturellement à la chambre, prenant l’espace lors de son usage, puis le rendant à volonté, sans pour autant que cela devienne un luxe? Cet appel à la confusion des genres, éviterait alors une autre confusion celle de l’enfermement dans le plus petit espace clos nécessaire et celle de la privacité.
Texte: Philippe Meyer
de: Maisons et Ambiances, numéro 03/20